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Dernière déclaration d’Azat lors de son procès

 
  Le groupe «Solidarité FreeAzat» est une antenne de FreeAzat, groupe de soutien au prisonnier politique Azat Miftakhov. Pour nous contacter : libertepourazat[at]gmail.com  
 
 
Durant mes précédentes années de détention, suite à ma première condamnation, je n’ai toujours pas développé de vibrant amour pour l’État: et me voici à nouveau sur le banc des accusés. Aujourd’hui, je suis jugé pour ce que les forces de l’ordre qualifient d’ « apologie du terrorisme » en falsifiant les preuves tout comme ils l’ont fait il y a cinq ans.

L’évidence et l’impudence d’une telle falsification ne les embarrassent pas du tout, mais jouent même en leur faveur. C’est comme s’ils nous disaient : « Nous pouvons mettre n’importe qui en prison et cela ne nous coûte rien ». Nous constatons la même arrogance dans les nombreux cas de torture inhumaine pratiqués par les gardiens du régime appartenant au FSB, peux soucieux de la publicité faite à leurs pratiques honteuses. Au contraire, elles sont exhibées comme une source de fierté. Ainsi, l’État manifeste son essence terroriste, pointée du doigt par les anarchistes avant la dernière élection présidentielle, descendus dans la rue avec le slogan «Le FSB est le principal terroriste». Ce que nous avons dit à l’époque est devenu évident non seulement dans notre pays, mais dans le monde entier. Nous voyons maintenant comment l’ensemble de la politique étrangère et intérieure de l’État se transforme en une usine de meurtres et d’intimidations. Alors que l’accusation d’ « Apologie du terrorisme » n’est soutenue que par de faux témoins, les chaînes de télévision fédérales, elles, appellent à tueren masse ceux qui ne sont pas d’accord avec la politique de l’État. Nous voyons que l’État, tout en proclamant une lutte contre le terrorisme, cherche en fait à maintenir son monopole sur la terreur.

Cependant, quelle que soit la manière dont les tchékistes tentent d’intimider la société civile, même en ces temps sombres, nous voyons des personnes qui trouvent le courage de s’opposer à la terreur qui s’est répandue au-delà des frontières de l’État. En risquant non seulement leur liberté mais aussi leur vie, leurs actions éveillent la conscience de notre société, dont nous ressentons si durement l’absence, et leur résolution à aller jusqu’au bout devient un exemple pour nous tous.

L’un de ces exemples est devenu pour moi mon ami et camarade Dmitri Petrov (alias Dima l’Écolo), qui est mort en défendant Bakhmout contre des soldats devenus outils de l’impérialisme. Je l’ai connu comme un anarchiste ardent qui, dans des conditions de dictature, a fait tout ce qui était en son pouvoir pour nous amener à une société fondée sur des principes d’entraide et de démocratie directe. Diplômé de la faculté d’histoire de l’université d’État de Moscou et titulaire d’un doctorat en histoire, il connaissait bien ses convictions sur la structure de la société et était capable de bien argumenter sa position, ce qui m’a toujours fait défaut. En même temps, il ne se contentait pas de théoriser, mais participait activement à l’organisation d’un mouvement de guérilla, ce qui n’a pas échappé à l’attention du FSB. Suite à cela, il a été contraint de poursuivre ses activités anarchistes en Ukraine.

Au début des sinistres événements de ces deux dernières années, il n’a pas pu rester à l’écart et, en tant que camarade entreprenant, il s’est efforcé de créer une association de personnes à l’esprit libertaire luttant pour la liberté des peuples d’Ukraine et de Russie. Malheureusement, il n’y a pas de guerre sans pertes, et Dima en fait partie. Je ferais preuve d’un égoïsme injustifiable en admirant l’altruisme de simples étrangers et en refusant d’accepter le sacrifice de ceux qui me sont personnellement chers. J’en suis bien conscient, même si je regrette que tous mes rapports avec lui appartiennent désormais irrémédiablement au passé. Pourtant, j’ai du mal à accepter cette perte : sachant qu’il était l’un des meilleurs d’entre nous et voulant faire de mon mieux pour que son sacrifice ne soit pas vain, je dois reconnaître que ma contribution sera insignifiante par rapport à ce dont il était capable.

Pour certains, ce qui précède était peut-être inattendu. Je n’exclus pas que parmi ceux qui me soutiennent, certains peuvent être déçus : à mon grand regret, j’ai du mal à m’exprimer publiquement. Peut-être que d’autres sont en désaccord avec celles de mes convictions qui vont à l’encontre du pacifisme. Cependant, dans un effort pour être rationnel en toute chose, je rejette la croyance en des entités non prouvées. Cela inclut le fait de ne pas croire en la justice du monde. Je ne crois pas que tout le mal sera puni par lui-même. C’est pourquoi je soutiens une résistance active à ce mal et une lutte pour un monde meilleur pour nous tous.

Mais même si certains de ceux qui me soutiennent ne partagent pas toutes mes convictions, je leur suis quand même reconnaissant pour toute leur aide.

Je remercie toutes celles et ceux qui m’ont écrit des lettres pleines de chaleur et de bons vœux. Même en étant dans cette prison au fin fond du pays, j’en ai reçu des piles presque chaque semaine. Je suis sûr que celles et ceux qui voulaient me briser devaient avoir à l’esprit une telle attention à mon égard. Je trouve très agréable et touchant que les gens partagent avec moi un épisode de leur vie, qu’il soit joyeux ou triste. Chaque lettre m’est très chère et toutes reçoivent mon attention.

Un grand merci à celles et ceux qui me soutiennent financièrement : grâce à eux, je n’ai jamais été dans le besoin durant toutes ces années d’emprisonnement. Il arrivait que les fonds se tarissent, mais un appel à l’aide suffisait pour qu’en quelques jours, des personnes qui ne sont pas indifférentes à mon cas ramènent mon budget à un niveau confortable. Ça fait très plaisir, et c’est impossible à oublier. Je remercie tout particulièrement Vladimir Akimenkov qui, depuis plus de dix ans, organise des collectes de fonds pour soutenir des prisonniers politiques, dont moi-même.

Je suis extrêmement reconnaissant aux militants des collectifs FreeAzat et Solidarité FreeAzat qui organisent des campagnes et des événements de soutien à une échelle qui dépasse mon imagination. Votre récente campagne des « Mille et une lettres » était l’une d’entre elles. Après les avoir toutes lues, j’ai été agréablement surpris d’apprendre que des personnes de dizaines de pays différents s’inquiètent pour moi. Merci beaucoup à celles et ceux qui ont participé à cette campagne et qui m’ont montré tout leur soutien.

Je suis extrêmement reconnaissant aux mathématiciens du monde entier, et en particulier au « Azat Miftakhov Committee », de me soutenir au sein de la communauté mathématique. Je suis très touché par le fait que des personnes que j’admire et dont je rêve d’atteindre un jour le niveau scientifique connaissent mon existence et expriment leur solidarité.

Merci beaucoup à tous ceux qui ont parlé publiquement de moi. Je remercie tout particulièrement Mikhail Lobanov, qui a dû émigrer en France, entre autres pour m’avoir soutenu activement. Mais même de là-bas, malgré toutes les difficultés de l’émigration, il est plus solidaire avec moi que jamais.

Un grand merci aux militants de Russie, y compris celles et ceux qui ne font pas partie des collectifs susmentionnés, et qui risquent leur confort en se solidarisant avec moi dans des conditions de dictature. Je suis très reconnaissant à toute l’audience de ce tribunal, venue me soutenir par sa présence. Certains d’entre vous ont parcouru des centaines de kilomètres pour le faire, et d’autres l’ont fait plus d’une fois ou deux. Une fois de plus, j’ai été agréablement surpris par cette grande attention à mon égard.

Un grand merci à tous les membres honnêtes de la presse qui, par leur travail, aident le public à suivre mon procès.

Je remercie mon avocate, Svetlana Sidorkina, pour le dévouement avec lequel elle m’a défendu lors de mes procès.Je ne cesse d’admirer son professionnalisme et je suis convaincu que j’ai beaucoup de chance de l’avoir. Enfin, je voudrais remercier Elena, mon principal soutien lors de mes procès. Elle m’a aidé avec tout son dévouement à surmonter toutes les difficultés de mon emprisonnement. Et en plus, j’ai la chance d’être amoureux d’elle.

En terminant mes remerciements, je ne peux pas me débarrasser du sentiment que j’ai peut-être oublié quelqu’un. C’est la conséquence de l’immense soutien qui ne m’a pas quitté depuis mon arrestation. Je suis heureux de constater que je ne suis pas le seul à avoir été l’objet de votre soutien. Que malgré les sombres événements de ces dernières années, votre solidarité ne connaît pas de frontières territoriales. C’est ce qui me fait espérer un avenir radieux pour nous tous.