Chronique internationale – Achaïra n° 260 – lundi 4 mars 2024

Pour cette chronique internationale, nous verrons deux prisonniers politiques. Nous reviendrons sur le cas connu de Julian Assange et sa défense par Noam Chomsky. Dans l’autre camp, à l’Est, nous essaierons de faire connaître Azat Miftakhov, mathématicien russe proche de la mouvance anarchiste. Tous sont victimes d’accusations mensongères et/ou de procès truqués, de vengeances d’État.

* Le tout dernier recours du célèbre hackeur australien, Julian Assange, a eu lieu les 20 et 21 février 2024.

La justice britannique a examiné la possibilité de faire appel de son extradition aux États-Unis, une demande acceptée en juin 2022 par le gouvernement britannique. Une audience décisive pour l’Australien de 52 ans, à laquelle il n’était pourtant pas présent à cause de son état de santé. C’est courant mars au plus tôt que Julian Assange saura s’il peut présenter son ultime appel au Royaume-Uni pour empêcher l’extradition vers les États-Unis. Si cet ultime appel était écarté, l’extradition pourrait intervenir très rapidement, dans les 48 heures. Ses avocats présenteraient alors un recours de la dernière chance auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

Julian Assange est poursuivi pour avoir publié plus de 700 000 documents confidentiels concernant les activités diplomatiques et militaires américaines en Afghanistan et en Irak. En Juillet 2010, ces documents sont révèlés au grand public sur la plateforme WikiLeaks, qu’il a fondée en 2006. Il risque une peine de 175 ans de prison, pour dix-neuf chefs d’inculpation, dont « espionnage » et « complot », selon l’acte d’extradition présenté à la justice britannique en mai 2019.

Le 20 août 2010, deux Suédoises accusent Julian Assange de viol et d’agression sexuelle. Visé par un mandat d’arrêt international émis par la Suède, il se rend à la justice britannique. Il obtient ensuite une libération conditionnelle. Julian Assange trouve refuge à l’ambassade de l’Équateur à Londres à partir de juin 2012. Il y passe sept ans enfermé dans une salle de 30 mètres carrés, sans accès à l’air libre, afin d’éviter une extradition vers la Suède. L’enquête est finalement clôturée en novembre 2019, sans qu’aucune plainte n’ait été déposée par la justice suédoise à l’encontre de Julian Assange ! Le changement de président en Équateur, marque un tournant dans l’affaire Assange. Il est interpellé au sein des locaux de l’ambassade par la police britannique. Il est depuis enfermé dans la prison de haute sécurité à l’est de Londres.

* Noam Chomsky l’a défendu lors du procès qui eut lieu en septembre 2020 au Royaume Uni, dans le cadre de la demande d’extradition des États-Unis, il traite de la nature politique des actions de Julian Assange.

Chomsky rappelle Samuel Huntington, professeur américain de science politique, auteur du livre intitulé « Le Choc des civilisations » de 1996 et son observation : « les stratèges du pouvoir aux États-Unis doivent créer une force qui peut être ressentie mais non vue. Le pouvoir reste fort quand il reste dans l’obscurité. Exposé à la lumière du soleil, il commence à se dissiper ».

Les actions de Julian Assange, qui ont été qualifiées de criminelles, sont des actions qui exposent le pouvoir à la lumière du soleil – des actions qui peuvent provoquer l’évaporation du pouvoir si la population saisit la chance de voir ses citoyens devenir indépendants dans une société libre plutôt que les sujets d’un maître qui opère dans le secret. On a compris depuis longtemps que le public a la capacité de faire s’évaporer le pouvoir.

C’est pourquoi l’industrie des relations publiques est devenue la plus grande agence de propagande de l’histoire de l’humanité. Cette institution a vu le jour il y a environ un siècle, lorsque les élites ont réalisé que trop de liberté avait été gagnée pour qu’il soit possible de contrôler la population par la force, et que donc ce sont les opinions qui devraient être contrôlées. C’est ce que Chomsky nomme par ailleurs « La fabrique du consentement ».

Les documents qui ont été rendus publics ont très rarement quelque chose à voir avec la sécurité, sauf avec la sécurité des dirigeants face à leur ennemi intérieur, leur propre population.

Le crime présumé de Julian Assange, en s’efforçant de dévoiler les secrets du gouvernement, est de violer les principes fondamentaux du gouvernement, de lever le voile du secret qui protège le pouvoir de la curiosité, l’empêche de s’évaporer.

* Mais qui connaît le mathématicien libertaire russe Azat Miftakhov ?

Déjà condamné lors d’un procès truqué, il a fait face le 29 février 2024 à une nouvelle mascarade judiciaire qui devrait le renvoyer en colonie pénitentiaire. Nous n’avons pas encore connaissance du verdict.

Azat Miftakhov est un mathématicien russe d’origine tatare proche de la mouvance anarchiste, opposé au système Poutine, arrêté en février 2019. Les services de sécurité, le FSB, lui ont fabriqué un dossier pour l’associer à un prétendu « réseau » terroriste en lui imputant, à tort, d’avoir brisé la fenêtre d’un local du parti « Russie unie », la formation poutinienne.

Envoyé pour « fait de vandalisme » dans une colonie pénitentiaire à plus de 1 000 kilomètres à l’est de Moscou, Azat Miftakhov était libérable en septembre 2023. Toutefois, le FSB a forgé contre lui un nouveau dossier avec un chef d’accusation le faisant passer à la catégorie de « terroriste ».

À peine sorti de prison le 4 septembre dernier, Azat Miftakhov repartait illico à la case prison, selon le système que les Russes appellent « carrousel ».

Elena Gorban, l’épouse d’Azat, libertaire comme lui, s’est rendu à Ekaterinbourg, dans l’Oural, afin d’assister au procès puis au verdict devant s’abattre sur son mari. Celui-ci fait partie des plus de 3 000 prisonniers politiques répertoriés par Memorial.

Dans les établissements pénitentiaires, en Russie, demeurent des poches de soutien, et bien sûr, à l’étranger se manifestent des campagnes pour sa libération. Tout cela crée une sorte d’aura, que le pouvoir et ses relais s’appliquent à détruire.

Le FSB a par exemple détourné puis rendu public des clichés relatifs à l’orientation bisexuelle d’Azat pour qu’il soit discriminé et livré en pâture. Une vie sexuelle considérée comme déviante fait dégringoler dans les basses castes officieuses de la hiérarchie carcérale, au point de vous rendre la vie très difficile – de la part des geôliers comme des codétenus.

Azat a été placé dans une colonie pénitentiaire où tout est conçu pour humilier, briser. Chaque infraction qui lui est reprochée permet de l’isoler davantage, pour éviter qu’il ne noue des liens avec d’autres prisonniers risquant alors de subir son influence.

Azat a subi un rude contrecoup lorsqu’il s’est tardivement rendu compte que l’état de guerre contre l’Ukraine n’avait pas eu l’effet escompté : aucun changement politique à l’horizon !

Il s’est réfugié dans le travail manuel. Le travail est à peine rémunéré – la majorité du salaire de misère sert de toute façon à payer sa « pension » puisque la détention a un coût en Russie. Il ne se consacrait pas à sa besogne pour ce maigre salaire, mais précisément pour échapper à l’angoisse, à la solitude et aux brimades.

Le pouvoir a toujours été dur et cruel, mais il n’y a qu’une petite minorité à s’en rendre compte et à subir sa brutalité. Il y a encore une majorité de la population russe qui ne peut ou ne veut pas savoir.

La question des LGBT vire à l’obsession : on peut se retrouver au cachot deux semaines pour figurer sur une photographie avec des anneaux couleur arc-en-ciel !

Le système Poutine ne consiste pas à enfermer le plus de gens possible, mais suffisamment de gens pour que le reste de la population vive dans la peur. Une simple considération à l’encontre de la guerre en Ukraine sur Internet peut parfois conduire en prison. L’un des chefs d’accusation le plus souvent mobilisés, à tort et à travers, est l’« apologie du terrorisme ».

Les propos d’Elena, la femme d’Azat, sont clairs :« Nous sommes des anarchistes, donc idéologiquement formés et conscients. Nous savons d’où vient ce pouvoir et ce dont il est capable. Si bien que nous ne vivons pas de souhaits, mais de luttes. »

« Pourtant, même quand il y a si peu d’espoir comme en ce moment, savoir que d’autres, en France et en Europe, se battent à l’unisson de notre combat nous fait du bien. Nous le ressentons ainsi et je tiens à vous le dire, en toute gratitude ».

Références et sources :

DEPUIS LA COUR DE JUSTICE DE LA VILLE DE WESTMINSTER :

LE GOUVERNEMENT DES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE CONTRE JULIAN PAUL ASSANGE

Rapport d’expertise du professeur Noam Chomsky

Je suis actuellement en poste à l’Université d’Arizona où je suis professeur de linguistique et président du programme Agnese Nelms Haury pour la justice sociale et environnementale.

J’ai rejoint le personnel du Massachusetts Institute of Technology en 1955 et, en 1961, j’ai été nommé professeur titulaire au département de langues modernes et de linguistique (aujourd’hui département de linguistique et de philosophie).

De 1966 à 1976, j’ai occupé la chaire Ferrari P. Ward de langues modernes et de linguistique. En 1976, on m’a décerné le titre d’Institute Professor. Je suis maintenant professeur émérite. Pendant les années 1958 à 1959, j’étais en résidence à l’Institute for Advanced Study de Princeton, NJ.

J’ai reçu des diplômes honorifiques de nombreuses universités, dont l’université de Londres, l’université de Chicago, l’université Loyola de Chicago, le Swarthmore College, l’université de Delhi, le Bard College, l’université du Massachusetts, l’université de Pennsylvanie, l’université de Georgetown, le Amherst College, l’université de Cambridge, Université de Buenos Aires, Université McGill, Universitat Rovira I Virgili, Tarragone, Université Columbia, Université du Connecticut, Scuola Normale Superiore, Pise, Université de Western Ontario, Université de Toronto, Université Harvard, Université de Calcutta, et Universidad Nacional De Colombia.

Je suis membre de l’Académie américaine des arts et des sciences et de l’Académie nationale des sciences. En outre, je suis membre d’autres sociétés professionnelles et scientifiques aux États-Unis et à l’étranger, et j’ai reçu le prix de la contribution scientifique remarquable de l’American Psychological Association, le prix de Kyoto en sciences fondamentales, la médaille Helmholtz, le prix Dorothy Eldridge Peacemaker, la médaille Ben Franklin en informatique et en sciences cognitives, et bien d’autres récompenses.

J’ai écrit et dispensé de nombreuses conférences sur la linguistique, la philosophie, l’histoire intellectuelle, les questions contemporaines, les affaires internationales et la politique étrangère des États-Unis.

Mes œuvres comprennent : Aspects of the Theory of Syntax ; Cartesian Linguistics (La Linguistique cartésienne) ; Sound Pattern of English (Principes de phonologie générative) (avec Morris Halle) ; Language and Mind (Le Langage et la pensée) ; American Power and the New Mandarins (L’Amérique et ses nouveaux mandarins) ; At War with Asia ; For Reasons of State ; Peace in the Middle East? ; Reflections on Language (Réflexions sur le langage) ; The Political Economy of Human Rights, Vol. I and II (avec E.S. Herman) ; Rules and Representations ; Lectures on Government and Binding ; Towards a New Cold War ; Radical Priorities ; Fateful Triangle (Israël, Palestine, États-Unis : Le triangle fatidique) ; Knowledge of Language ; Turning the Tide ; Pirates and Emperors (Pirates et empereurs) ; On Power and Ideology ; Language and Problems of Knowledge ; The Culture of Terrorism ; Manufacturing Consent (La Fabrication du consentement) (avec E.S. Herman) ; Necessary Illusions ; Deterring Democracy ; Year 501 (L’an 501) ; Rethinking Camelot : JFK ; the Vietnam War and US Political Culture ; Letters from Lexington ; World Orders, Old and News ; The Minimalist Program (Programme minimaliste) ; Powers and Prospects ; The Common Good (Le bien commun) ; Profit Over People (Le profit avant l’homme) ; The New Military Humanism (Le Nouvel Humanisme militaire : Leçons du Kosovo) ; New Horizons in the Study of Language and Mind (Nouveaux horizons dans l’étude du langage et de l’esprit) ; Rogue States ; A New Generation Draws the Line ; 9-11 ; Understanding Power ; Hegemony or Survival ; Hopes and Propects ; What Kind of Creatures are We? ; Who Rules the Word (Qui mène le monde) [les titres entre parenthèses sont ceux des oeuvres qui ont été traduites en français, NdT]

On m’a demandé si le travail et les actions de Julian Assange pouvaient être considérés comme étant « politiques », une question qui, me dit-on, est importante dans le cadre de la demande d’extradition des États-Unis afin que M. Assange soit jugé pour espionnage pour avoir joué un rôle dans la publication d’informations que le gouvernement des États-Unis ne souhaitait pas rendre publiques.

J’ai déjà parlé du sujet sur lequel on me demande maintenant de faire un commentaire en ce qui concerne M. Assange. Les paragraphes suivants constituent mon point de vue. Je confirme mon évaluation selon laquelle les opinions et les actions de M. Assange doivent être appréhendées dans leur relation avec les priorités du gouvernement.

Un professeur de Science du gouvernement de l’université de Harvard, l’éminent politologue libéral et conseiller du gouvernement, Samuel Huntington, a observé que « les stratèges du pouvoir aux États-Unis doivent créer une force qui peut être ressentie mais non vue. Le pouvoir reste fort quand il reste dans l’obscurité. Exposé à la lumière du soleil, il commence à se dissiper ».

Il a donné quelques exemples significatifs concernant la nature réelle de la guerre froide. Il a parlé de l’intervention militaire américaine à l’étranger et il a fait remarquer que « vous devrez peut-être vendre l’intervention ou toute autre action militaire de manière à créer la fausse impression que c’est l’Union soviétique que vous combattez. C’est ce que les États-Unis font depuis la doctrine Truman » et il existe de nombreuses illustrations de ce principe directeur.

Les actions de Julian Assange, qui ont été qualifiées de criminelles, sont des actions qui exposent le pouvoir à la lumière du soleil – des actions qui peuvent provoquer l’évaporation du pouvoir si la population saisit la chance de voir ses citoyens devenir indépendants dans une société libre plutôt que les sujets d’un maître qui opère dans le secret. C’est là un choix et on a compris depuis longtemps que le public a la capacité de faire s’évaporer le pouvoir.

Le seul penseur de premier plan qui ait compris et expliqué ce fait critique est David Hume, qui a écrit sur les Premiers principes de gouvernement dans l’un des premiers ouvrages modernes de théorie politique, il y a plus de 250 ans. La formulation qu’il a utilisée était si claire et pertinente que je me contenterai de la citer.

Hume a trouvé que « rien de plus surprenant que de voir la facilité avec laquelle le plus grand nombre est gouverné par un petit nombre et d’observer la soumission implicite avec laquelle les hommes ont abandonné leurs propres sentiments et passions à la volonté de leurs dirigeants. Lorsque nous nous demanderons par quels moyens cette merveille a pu arriver, nous constaterons que, la force étant toujours du côté des gouvernés, les gouvernants n’ont rien pour les soutenir si ce n’est l’opinion. Dire qu’un gouvernement est justifié relève donc de la seule opinion et cette maxime s’étend aux gouvernements les plus despotiques et les plus militarisés tout comme aux plus libéraux et plus populaires ».

En fait, Hume sous-estime l’efficacité de la violence, mais ses paroles sont particulièrement pertinentes dans le cas de sociétés dans lesquelles la lutte populaire de longue date a permis d’obtenir un degré de liberté considérable. Dans de telles sociétés, comme la nôtre bien sûr, le pouvoir est en fait du côté des gouvernés et les gouvernants n’ont rien pour les soutenir si ce n’est l’opinion.

C’est l’une des raisons pour lesquelles l’immense industrie des relations publiques est devenue la plus grande agence de propagande de l’histoire de l’humanité, une influence qui s’est développée et a atteint ses formes les plus sophistiquées dans les sociétés les plus libérales, les États-Unis et la Grande-Bretagne. Cette institution a vu le jour il y a environ un siècle, lorsque les élites ont réalisé que trop de liberté avait été gagnée pour qu’il soit possible de contrôler la population par la force, et que donc ce sont les mentalités, les opinions qui devraient être contrôlées.

Les élites intellectuelles libérales l’ont également compris, c’est pourquoi elles ont insisté, pour recourir à quelques citations je dirais, sur le fait que nous devons nous débarrasser du « dogmatisme démocratique selon lequel les populations seraient les meilleurs juges de leurs propres intérêts ». Ce n’est pas le cas. Ce sont des « tiers ignorants et gênants » et ils doivent donc être « remis à leur place » de façon à ne pas déranger les « hommes responsables » qui gouvernent de plein droit.

Un des moyens de contrôler la population consiste à agir en secret pour que les tiers ignorants et gênants restent à leur place, loin des leviers de pouvoir qui ne les concernent pas. C’est le principal objectif quand des documents internes sont classifiés.

Quiconque a parcouru les archives des documents qui ont été rendus publics s’est certainement assez rapidement rendu compte que ce qui est gardé secret a très rarement quelque chose à voir avec la sécurité, sauf avec la sécurité des dirigeants face à leur ennemi intérieur, leur propre population. La pratique est tellement habituelle qu’il est tout à fait superflu d’en faire l’illustration. Je ne mentionnerai qu’un seul cas contemporain.

Considérez les accords commerciaux mondiaux, Pacifique et Atlantique, ce sont en réalité des accords concernant les droits des investisseurs camouflés sous le vocable de libre-échange. Ils sont négociés en secret. Il est prévu une ratification de style stalinien par le Parlement – oui ou non – ce qui signifie bien sûr oui, sans qu’il y ait discussion ou débat, ce qu’on appelle aux États-Unis « fast-track » [procédure accélérée, NdT].

Pour être précis, ils ne sont pas entièrement négociés en secret. Les faits sont connus des avocats d’entreprise et des lobbyistes qui rédigent les détails de manière à protéger les intérêts de la partie qu’ils représentent, et qui bien sûr n’est pas le public. Le public, au contraire, est un ennemi qu’il faut garder dans l’ignorance.

Le crime présumé de Julian Assange, en s’efforçant de dévoiler les secrets du gouvernement, est de violer les principes fondamentaux du gouvernement, de lever le voile du secret qui protège le pouvoir de la curiosité, l’empêche de s’évaporer – et encore une fois, les puissants comprennent bien que le fait de lever le voile peut entraîner l’évaporation du pouvoir. Cela peut même conduire à une liberté et une démocratie authentiques si un public éveillé en vient à comprendre que la force est du côté des gouvernés et qu’elle peut être leur force s’ils choisissent de contrôler leur propre destin.

À mon avis, Julian Assange, en défendant courageusement des convictions politiques que la plupart d’entre nous déclarons partager, a rendu un énorme service à tous les peuples du monde qui chérissent les valeurs de liberté et de démocratie et qui exigent donc le droit de savoir ce que leurs représentants élus fabriquent. Par conséquent ses actions l’ont conduit à être persécuté de manière cruelle et intolérable.

Noam Chomsky

Source : Craig Murray pour Consortium News

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Procès Assange : Le témoignage de Noam Chomsky (les-crises.fr)

Extradition de Julian Assange : retour sur presque quinze ans de démêlés avec la justice

Poursuivi pour la diffusion de documents confidentiels sur les activités américaines militaires et diplomatiques en Irak et en Afghanistan, le lanceur d’alerte Julian Assange encourt 175 ans de prison. Alors que la justice britannique se penche sur son extradition mardi 20 février, retour sur une saga judiciaire hors normes.

  • Capucine Licoys, 

  • le 20/02/2024 à 13:29 

  • Modifié le 20/02/2024 à 14:23

Lecture en 3 min. La Croix Numérique

Le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange parle depuis l’ambassade de l’Équateur à Londres, le 19 mai 2017.

Extradition de Julian Assange : retour sur presque quinze ans de démêlés avec la justice

C’est le tout dernier recours du célèbre hackeur australien. Depuis mardi 20 février et jusqu’à mercredi, la justice britannique examine la possibilité pour Julian Assange de faire appel de son extradition aux États-Unis, une demande qui avait été acceptée en juin 2022 par le gouvernement britannique. Une audience décisive pour l’Australien de 52 ans, à laquelle il n’est pourtant pas présent à cause de son état de santé.

Le fondateur de WikiLeaks est poursuivi pour avoir publié plus de 700 000 documents confidentiels concernant les activités diplomatiques et militaires américaines en Afghanistan et en Irak, et risque une peine de 175 ans d’emprisonnement. Retour sur les nombreux rebondissements judiciaires qu’a connus Julien Assange en près de quinze ans.

Juillet 2010 : fuite massive de documents américains confidentiels

À partir de 2010, plus de 700 000 documents confidentiels sur les activités américaines menées en Irak et en Afghanistan sont révélés au grand public sur la plateforme WikiLeaks, fondée par Julian Assange quatre ans plus tôt. Ceux-ci ont été obtenus grâce à la militaire Chelsea Manning, qui sera condamnée à une peine de trente-cinq ans de prison en 2013 pour cette transmission de données, et dont la peine sera finalement commuée en 2017 par Barack Obama.

Août 2010 : une première détention

Le 20 août 2010, deux Suédoises accusent Julian Assange de viol et d’agression sexuelle. Visé par un mandat d’arrêt international émis par la Suède, le célèbre lanceur d’alerte se rend à la justice britannique et passe une semaine en détention provisoire. Il obtient ensuite une libération conditionnelle.

Juin 2012 : refuge à l’ambassade d’Équateur à Londres

Toujours visé par le mandat d’arrêt suédois, Julian Assange trouve refuge à l’ambassade de l’Équateur à Londres à partir du 19 juin 2012. L’asile politique lui est accordé par l’ancien président équatorien Rafael Correa. Il est même naturalisé en décembre 2017, mais Londres refuse malgré tout de le libérer.

Le cyberactiviste passe sept ans enfermé dans une salle de 30 mètres carrés, sans accès à l’air libre, afin d’éviter une extradition vers la Suède. L’enquête est finalement clôturée en novembre 2019. En neuf ans, aucune plainte n’a été déposée par la justice suédoise à l’encontre de Julian Assange.

Avril 2019 : condamnation à 50 semaines de prison

L’arrivée de Lenín Moreno, le nouveau président de l’Équateur, marque un tournant dans l’affaire Assange. Alors que des soupçons de rapprochement avec l’administration Trump émergent, Quito décide de retirer à l’Australien le droit d’asile qui lui avait été accordé sept ans plus tôt.

En avril 2019, le hackeur est interpellé au sein des locaux de l’ambassade par la police britannique. Accusé de ne pas avoir respecté les conditions de sa liberté provisoire, il est condamné à cinquante semaines de prison, qu’il purge depuis cette date dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, située dans l’est de Londres. Le ministère américain de la justice demande son extradition au moment de son arrestation.

Mai 2019 : Assange visé par 18 chefs d’inculpation

Déjà poursuivi par les États-Unis pour « association de malfaiteurs en vue de commettre une intrusion informatique », Julian Assange est visé en mai 2019 par dix-sept autres chefs d’inculpation, dont « espionnage » et « complot », selon l’acte d’extradition présenté à la justice britannique en mai 2019. Au total, l’Australien encourt une peine de prison de 175 ans.

Juin 2022 : confirmation de l’extradition

Alors que l’état de santé du journaliste s’est nettement dégradé, la justice britannique refuse en janvier 2021 de l’extrader vers les États-Unis. La juge Vanessa Baraitser invoque notamment le risque de suicide de Julian Assange.

Cette première décision est ensuite infirmée en raison des « assurances » apportées ensuite par le ministère américain sur ses conditions de détention. En clair, les autorités américaines ont affirmé qu’en cas d’emprisonnement, le cyberactiviste recevrait les soins cliniques et psychologiques qui s’imposent. Ils ont également laissé entendre qu’il pourrait purger sa peine en Australie. Le 17 juin 2022, le gouvernement britannique confirme avoir signé le décret d’extradition du journaliste.

Février 2024 : feu vert accordé à la demande d’extradition

À partir du mardi 20 février et jusqu’au mercredi 21 février 2024, deux audiences administratives doivent se tenir au sein de la Haute Cour de justice britannique afin de déterminer si oui ou non, Julian Assange est autorisé à faire appel de son extradition. Si elle est confirmée, un procès en appel devrait se tenir dans les prochains mois.

Extradition de Julian Assange : retour sur presque quinze ans de démêlés avec la justice (la-croix.com)

25/02/2024 – Comité de soutien Assange <comitesoutienassange@protonmail.com>

Dernières nouvelles de l’affaire Assange et de la mobilisation : ultime appel au Royaume-Uni, 19 rassemblements en France, traitement médiatique…

Bonjour,

La Haute Cour britannique n’a pas rendu sa décision à l’issue des deux jours d’audience qui ont eu lieu cette semaine (20-21 février). C’est courant mars au plus tôt que Julian Assange saura s’il peut présenter son ultime appel au Royaume-Uni pour empêcher l’extradition vers les États-Unis. Le fondateur de WikiLeaks n’a pas pu assister à l’audience à cause de son mauvais état de santé.

L’équipe de défense du journaliste australien a interprété comme un signe favorable que les deux juges de la Haute Cour se soient montrés réellement attentifs, posant des questions pertinentes, ce qui tranchait avec le comportement entre le dédain et l’ennui observé jusque-là de la part des juges britanniques qui ont eu à se prononcer sur le dossier.

Rappelons que si cet ultime appel était écarté, l’extradition pourrait intervenir très rapidement, dans les 48 heures selon Stella Assange. Les avocats présenteraient alors un recours de la dernière chance auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. Au sujet de l’urgence et de l’attitude du Royaume-Uni à l’égard de cette démarche (surseoira-t-il à l’extradition ?), il est utile de prendre connaissance des propos récents de l’avocat belge Christophe Marchand, chargé de la coordination judiciaire de Julian Assange pour la CEDH : « D’où notre préparation à déposer immédiatement un recours auprès de la Cedh. Selon l’article 39, la Cour peut indiquer des mesures provisoires à tout État, le temps de l’instruction de la procédure, et son jugement, qui pourrait durer dix-huit mois. Cette mesure est suspensive. La Grande-Bretagne a jusqu’à présent respecté ses mesures provisoires » (LHumanité, 20 février 2024).

L’inconnue est ici : le Royaume-Uni respectera-t-il la CEDH dans ce dossier hors du commun dans lequel les droits de Julian Assange ont été piétinés de façon systématique depuis quatorze ans, toujours dans le sens de la volonté de Washington ?

Du côté de la mobilisation en France, ce sont finalement dix-neuf rassemblements qui ont eu lieu mardi dernier pour demander la libération de Julian Assange (cela s’inscrivait dans une initiative internationale appelée « Day X »). Une mobilisation inédite ! C’est très encourageant pour la suite. Voici les dix-neuf villes : Ajaccio, Annecy, Bordeaux, Digne-les-Bains, Dijon, Granville, Lille, Marseille, Metz, Montbard, Montpellier, Mulhouse, Nice, Paris, Poitiers, Saint-Nazaire, Saint-Pons-de-Thomières, Strasbourg et Toulouse.

800 personnes à Paris, 300 à Bordeaux, 150 à Ajaccio, 100 à Montpellier… La plupart des autres rassemblements ont réuni autour de 70 personnes. Même quand il n’y a eu qu’une vingtaine de personnes, c’est précieux, tant il est important que le soutien à Julian Assange et à la cause qu’il représente soit visible. Il nous faut continuer à informer et à mobiliser sans relâche tant qu’il ne sera pas libre.

De nombreuses organisations ont appelé à participer à cette mobilisation coordonnée par le Comité de soutien Assange et Free Assange Wave France. La LDH s’est particulièrement impliquée, via ses sections locales. Mais citons également le Mouvement de la paix, le SNJ, le SNJ-CGT, Attac, la France insoumise, Anticor, Les Amis du Monde diplomatique, le Mrap, Per A Pace, le Centre mosellan des droits de l’homme, la Fédération nationale de la Libre pensée, Wiphala France, Amnesty International… Que l’on nous pardonne de ne pouvoir être exhaustifs. Mais un grand merci à tous !

Vous pouvez voir des photos des différents rassemblements sur notre compte X/Twitter.

À noter que de nombreux Français avaient fait le déplacement à Londres pour être présents devant le tribunal.

Si le traitement médiatique de l’affaire Assange s’améliore globalement, en partie grâce au développement du mouvement de solidarité, certains médias et éditorialistes continuent de relayer dénigrements, calomnies et fausses informations. Quelques exemples, de gravité variable : France InterLe MondeUlysse Gosset (BFM-TV), François Clemenceau (LCI). Du côté des politiques, la députée européenne Nathalie Loiseau se distingue particulièrement… 

Trois journalistes ont interrogé récemment le gouvernement français sur sa position quant à la persécution de Julian Assange, vous pouvez voir ici en vidéo les « réponses » de la porte-parole du gouvernement et de celui du Quai d’Orsay.

Pour finir, nous signalons que le très bon documentaire Ithaka, le combat pour libérer Assange de Ben Lawrence continue de faire l’objet de projections-débats en France. Le meilleur moyen d’être informé des prochaines séances, c’est de consulter régulièrement l’agenda sur le site du distributeur, Les Mutins de Pangée.

Et nous recommandons plus que jamais la lecture du livre de Stefania Maurizi, L’Affaire WikiLeaks : Médias indépendants, censure et crime d’État, publié il y a un mois aux Éditions Agone. Blast vient de mettre en ligne un entretien passionnant avec la journaliste italienne d’investigation.

Tenons-nous prêts à nous mobiliser au cas où l’appel de Julian Assange serait jugé irrecevable par la Haute Cour. Tenons-nous prêts même s’il est autorisé à le présenter car le combat ne s’arrêtera pas là.

À bientôt donc…

Comité de soutien Assange

Mediapart

LA RUSSIE SELON VLADIMIR POUTINE ENTRETIEN

La Russie « enferme suffisamment » pour que « la population vive dans la peur »

Le mathématicien libertaire russe Azat Miftakhov, déjà condamné lors d’un procès truqué, fait face jeudi 29 février à une nouvelle mascarade judiciaire qui devrait le renvoyer en colonie pénitentiaire. De Moscou, sa femme, Elena Gorban, témoigne pour Mediapart.

Antoine Perraud

27 février 2024 à 12h35

Mediapart a déjà évoqué le cas d’Azat Miftakhov, mathématicien russe d’origine tatare proche de la mouvance anarchiste, opposé au système Poutine, arrêté en février 2019 puis condamné en janvier 2021. Les services de sécurité (FSB) lui ont fabriqué un dossier pour l’associer à un prétendu « réseau » terroriste en lui imputant, à tort, d’avoir brisé la fenêtre d’un local du parti Russie unie, la formation poutinienne.

Envoyé pour « fait de vandalisme » dans une colonie pénitentiaire à Omoutninsk (entre Kirov et Perm, à plus de 1 000 kilomètres à l’est de Moscou), Azat Miftakhov était libérable en septembre 2023. Toutefois, le FSB forgeait contre lui un nouveau dossier encore plus grave, de façon à renouveler son bail dans les geôles du fait d’un autre chef d’accusation, le faisant passer de la catégorie de « hooligan » à celle de « terroriste ».

Cela n’a pas manqué. À peine sorti de prison le 4 septembre dernier, ayant juste eu le temps d’embrasser sa mère et de lui promettre de « tenir », Azat Miftakhov repartait illico à la case prison, selon le système que les Russes appellent « carrousel ». Un nouveau jugement doit tomber jeudi 29 février.

Nous avons pu joindre à Moscou Elena Goban, l’épouse d’Azat, libertaire comme lui. C’était lundi 26 février et elle s’apprêtait à prendre un train de nuit pour Ekaterinbourg, dans l’Oural – trente heures de voyage –, afin d’assister au procès puis au verdict devant s’abattre sur son mari. Celui-ci fait partie des plus de 3 000 prisonniers politiques répertoriés par Memorial, alors que la Russie n’en compte aucun officiellement.

Mediapart : Quel est le statut d’Azat Miftakhov ?

Elena Gorban : Juridiquement et formellement, c’est un détenu de droit commun : un voyou qui a fait une bêtise et que le pouvoir, épaulé par la justice, tente de faire passer pour un criminel en puissance – tandis que le peu de forces encore vives de la société russe l’appréhende telle la victime d’une vindicte politique.

L’opposition russe, en tout cas les structures qui subsistent, se voit criminalisée par le régime. L’exemple le plus connu étant Navalny et ses équipes, qui ont toujours voulu agir de manière pacifique et dans le cadre de la loi. Les médias gouvernementaux les ont pourtant continuellement présentés comme des terroristes, des extrémistes.

Et même, ce qui est un comble quand on connaît leur lutte contre la corruption en Russie, comme des fraudeurs, toujours accusés de se livrer à des activités économiques occultes…

Votre mari, lors de sa détention, a été victime de provocations du FSB, destinées à lui faire perdre la protection que lui confère sa condition de prisonnier politique, pourtant non reconnue…

Oui, s’il n’y a pas de statut, il y a une situation de fait, reconnue dans les établissements pénitentiaires, en Russie, où demeurent des poches de soutien, et bien sûr à l’étranger où se manifestent des campagnes pour sa libération. Tout cela crée une sorte d’aura, que le pouvoir et ses relais s’appliquent à détruire.

Le FSB a par exemple détourné puis rendu publics des clichés relatifs à l’orientation bisexuelle d’Azat pour qu’il soit discriminé et livré en pâture. Là encore, aucun statut des prisonniers mais un état de fait : une vie sexuelle considérée comme déviante fait dégringoler dans les basses castes officieuses de la hiérarchie carcérale, au point de vous rendre la vie très difficile – de la part des geôliers comme des codétenus.

Quel est le quotidien de sa vie de prisonnier ?

Azat a été placé dans une colonie pénitentiaire très contrôlée, une « zone rouge » aux conditions très strictes : le règlement doit être appliqué et respecté à la lettre, comme nulle part ailleurs. Il faut saluer chaque représentant du personnel selon un protocole précis. Chaque manquement est puni.

Tout est fait pour le piéger. Il a une demi-heure pour effectuer le ménage de la cellule, mais il n’est jamais prévenu du moment où doit avoir lieu ce nettoyage. En conséquence, au lieu de passer pour lui notifier l’heure, les gardiens passent pour constater que rien n’a été fait et l’envoyer au mitard.

Tout est conçu pour humilier, briser. Il lui est arrivé de n’avoir droit qu’à une conversation téléphonique par mois, quasiment impossible à mener à bien, tant la file d’attente est importante devant l’unique cabine téléphonique de l’établissement dans le temps imparti.

La seule façon de gagner un petit espace de tolérance et de paix, c’est de collaborer activement avec l’administration, ce qu’Azat a évidemment refusé de faire.

Comment tient-il ?

C’est émotionnellement très dur pour lui. Chaque infraction qui lui est reprochée permet de l’isoler davantage, pour éviter qu’il ne noue des liens avec d’autres prisonniers risquant alors de subir son influence.

Il lui est pourtant arrivé de trouver des interlocuteurs avec lesquels échanger, sinon se confier. Il a dû déchanter en découvrant que l’un d’entre eux était un mouchard, dont le témoignage à charge ne fait qu’alourdir le dossier d’Azat en vue des prochaines condamnations…

Je ne vous cache pas qu’il a été obligé, pour tenir, d’en passer par les antidépresseurs. Surtout après l’invasion de l’Ukraine, quand il s’est rendu compte que la plupart des gens incarcérés soutenaient la prétendue « opération spéciale ».

Alors il s’est réfugié dans le travail manuel, d’abord dans une scierie, ensuite dans un atelier de confection. Il n’avait plus la force ni le courage de se tenir aux buts qu’il s’était fixés au début de sa détention : continuer ses travaux mathématiques et apprendre l’anglais.

Azat a subi un rude contrecoup lorsqu’il s’est tardivement rendu compte que l’état de guerre contre l’Ukraine n’avait pas eu l’effet escompté : aucun changement politique à l’horizon.

Le travail est à peine rémunéré – la majorité du salaire de misère sert de toute façon à payer sa « pension » puisque la détention a un coût en Russie. Il ne se consacrait pas à sa besogne pour les quelques dizaines d’euros qu’il peut économiser en un an de travail, mais précisément pour échapper à l’angoisse, à la solitude et aux brimades. Au point de ne pas bénéficier intégralement des rares congés : Azat demande à reprendre sa tâche au plus tôt.

Comment se tient-il au courant ?

À contretemps. La censure sévit. Lui n’a pas le droit d’évoquer les conditions de sa détention ni surtout le cas de ses codétenus. Quant à mes courriers, ceux de sa mère ou de ses amis et camarades, ils sont caviardés quand certains passages personnels déplaisent à l’administration ; ou carrément passés à la trappe si l’actualité ou la politique prennent trop d’importance aux yeux des censeurs.

Par conséquent, Azat a subi un rude contrecoup lorsqu’il s’est tardivement rendu compte que l’état de guerre contre l’Ukraine n’avait pas eu l’effet escompté : aucun changement politique à l’horizon.

Aucun changement, sinon un durcissement du pouvoir ?

Oui et non. Le pouvoir a toujours été dur et cruel, mais nous n’étions qu’une petite minorité à nous en rendre compte et à subir sa brutalité. Par la force des choses, beaucoup plus de gens en sont désormais conscients, obligés qu’ils sont d’ouvrir les yeux. Mais il y a encore une majorité de la population russe qui ne peut ou ne veut pas savoir. Et qui continue de vivre sans y comprendre rien.

En dehors de la guerre demeurent d’autres sujets sur lesquels il nous est possible de nous exprimer : mais à voix un peu plus basse et en ne sachant pas jusqu’à quand ce sera possible.

En revanche, la question des LGBT vire à l’obsession, et la frénésie répressive tourne à la farce féroce et implacable : on peut se retrouver au cachot deux semaines pour figurer sur une photographie avec des anneaux couleur arc-en-ciel – c’est un exemple véridique, parmi d’autres, que je vous cite.

La justice se contente d’infliger des condamnations de plus en plus lourdes. Elles sont décidées en amont, sinon par le Kremlin, du moins par des intermédiaires politiques fiables et zélés. Et ce, depuis un an déjà comme en témoigne la peine énorme infligée à l’opposant Vladimir Kara-Mourza en avril 2023 : vingt-cinq ans de détention

Face à la « verticale du pouvoir » de Poutine, existe-t-il une forme de solidarité horizontale encore à l’œuvre dans la société russe ?

Il y a quelques manifestations, plus sporadiques que massives, de résistance, comme l’envoi groupé de lettres écrites aux prisonniers politiques par des citoyens et des citoyennes qui se réunissent pour ce faire. Certains Russes courageux vont également assister aux audiences des tribunaux, quand elles sont publiques.

Je peux encore citer les contributions financières organisées pour payer les frais d’avocat. Sans parler de celles et ceux qui se mobilisent et sonnent le tocsin dès qu’un prisonnier souffre gravement de ses conditions d’incarcération, afin que lui soient prodigués les soins nécessaires. Ce fut notamment le cas pour Igor Baryshnikov, atteint d’un cancer de la prostate, mais payant de la prison son opposition à la guerre en Ukraine.

Je ne suis pas du tout du même bord que Navalny, mais ma compassion est immense.

Tout cela peut apporter une aide décisive, même si les autorités pénitentiaires n’en font souvent qu’à leur tête dans des lieux reculés de la Russie, face à une solidarité qui s’organise généralement dans quelques grandes villes du pays.

Tout cela peut aussi avoir l’effet inverse, le Kremlin voulant marquer qu’il agit comme bon lui semble, quelle que soit la pression, venant de l’intérieur comme de l’extérieur du pays, à laquelle il n’entend pas céder. En témoigne le sort tragique de Navalny.

Quel a été l’effet de sa mort ?

Comme beaucoup, j’ai d’abord tenté de me raccrocher à l’idée qu’il s’agissait d’une fausse nouvelle en voyant s’afficher l’annonce de sa mort à travers les sites des chaînes publiques sur Telegram. Quand il a fallu se rendre à l’évidence, je n’ai évidemment pu que trembler pour Azat, auquel il pourrait arriver la même chose.

Je ne suis pas du tout du même bord que Navalny, mais ma compassion est immense. Je ne suis pas allée déposer des fleurs sur certains monuments de Moscou dédiés aux victimes des répressions politiques, dans la mesure où j’ai déjà été condamnée au civil avec sursis.

Une nouvelle condamnation pourrait me conduire au pénal. Sans oublier l’aspect économique. Une première condamnation vous fait écoper d’environ un mois de salaire. Une deuxième vous coûte les yeux de la tête : plus de six mois de traitement, alors que ma situation professionnelle est déjà rendue précaire…

Comment pouvez-vous craindre de déposer une fleur à Moscou et parler sans peur à un journaliste français comme vous le faites actuellement ?

D’abord il faut vous dire que le système Poutine ne consiste pas à enfermer le plus de gens possible, mais suffisamment de gens pour que le reste de la population vive dans la peur. Une simple considération à l’encontre de la guerre en Ukraine sur Internet peut parfois conduire en prison. L’un des chefs d’accusation le plus souvent mobilisés, à tort et à travers, est l’« apologie du terrorisme ».

S’exprimer dans l’espace public russe est devenu risqué. Répercuter un article d’un média russe d’opposition catalogué par le pouvoir comme « extrémiste » ou « agent de l’étranger », et parfois même seulement citer un tel titre peut avoir de graves conséquences.

En règle générale, nous nous sentons obligés de nous retenir d’exprimer un avis sur la plupart des questions politiques et sociales tant pèse l’absence de liberté.

Toutefois, il n’existe pas encore d’interdiction directe de s’ouvrir à un journaliste étranger sur la persécution que subit Azat. Si ce n’est pas prohibé, c’est que ce n’est pas dangereux ; ce n’est pas dangereux puisque ce n’est pas prohibé. Nous en sommes là, dans un équilibre fragile, instable, et qui n’est peut-être pas appelé à durer…

Que pouvons-nous vous souhaiter pour les jours et les semaines à venir ?

Comme pour tous les pays qui connaissent ce genre de situation : des changements globaux de façon que la justice soit enfin restaurée. Mais nous n’en sommes pas là !

Si je passe de la situation générale à celle, particulière, d’Azat, il faut souhaiter ce qui n’arrivera pas : qu’il s’en tire avec une amende et que le tribunal ne sorte pas de sa manche – et préparé de longue main – un nouveau chef d’inculpation qui le reverra pour quelques années au cachot.

Nous sommes des anarchistes, donc idéologiquement formés et conscients. Nous savons d’où vient ce pouvoir et ce dont il est capable. Si bien que nous ne vivons pas de souhaits, mais de luttes.

Pourtant, même quand il y a si peu d’espoir comme en ce moment, savoir que d’autres, en France et en Europe, se battent à l’unisson de notre combat nous fait du bien. Nous le ressentons ainsi et je tiens à vous le dire, en toute gratitude.

Antoine Perraud

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La Russie « enferme suffisamment » pour que « la population vive dans la peur » | Mediapart

Anarchist Azat Miftakhov was arrested immediately after his release from prison | Autonomous Action – anarchists, libertarian communists, antifa (avtonom.org)

Liberté pour Azat Miftakhov – #FREEAZAT – PARTAGE NOIR (partage-noir.fr)